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8 novembre 2011 2 08 /11 /novembre /2011 17:53

Le Village est une fable et film d'angoisse américain de M. Night Shyamalan sorti en 2004.

the village

 

Beaucoup de gens semblent ne pas avoir compris l'intérêt de ce très beau film et montrent donc que le réalisateur a raison. Car rapidement, on sent que quelque chose sonne faux. Un village de paysans américains du XIX° siècle est posé dans une trouée au milieu d'une vaste forêt où nul n'a le droit d'aller, car elle est hantée par Ceux dont on ne parle pas. Leur couleur est le rouge, donc le rouge est interdit au village. On campe rapidement les principaux personnages. Lucius Hunt (Joaquin Phenix) est un jeune homme d'une profonde bonté, très taciturne mais extrêmement lucide et empathe; c'est le fils d'Alice (Sigourney Weaver), l'une des Anciens dirigeant le village en formant un conseil; Elizabeth Walker (Bryce Dallas Howard), une jolie rousse aveugle volubile, courageuse et intelligente, fille d'Edward Walker (William Hurt), chef des Anciens; et Noah Percy (Adrian Brody), l'idiot du village, attardé et paradoxalement d'une intelligence surprenante.

joaquin phoenix

Lucius et la couleur jaune, symbole de la protection et de l'isolement du village.

Un jeune garçon est inhumé dans le cimetière et on constate déjà que les réactions des Anciens sont curieuses, plus proches de la lassitude et de la révolte que du deuil réel. Les signes d'une intrusion de Ceux dont on ne parle pas se multiplient, dont des chiens dépecés pendus. Et une nuit, la sentinelle donne l'alerte, Lucius se dévoue pour faire le tour des maisons et vérifier que tout le monde va bien se terrer dans la cave. On aperçoit furtivement, dans le village désert et au moment où Lucius entraîne Elizabeth dans la maison, une silhouette bossue, vêtue d'une robe rouge à capuche, d'où émergent des piques dorsales, des griffes immenses et un museau de loup.

Bien sûr, Lucius le taciturne qui comprend tout mais ne dit rien et Elizabeth l'aveugle qui dit tout s'aiment. Et ça ne plait pas à Noah, qui se rend chez Lucius, le poignarde avec un air absolument désolé, et s'en va. Il est puni en étant enfermé dans une salle de silence, il faut même arrêter Elizabeth qui est bien partie pour lui casser la gueule. Lucius est perdu, à moins que. À moins que quelqu'un aille en ville chercher certains médicaments. En ville, endroit terrible, dont on sait tout juste que les Anciens sont venus et où leurs proches ont été trahis, assassinés froidement ou autres. En ville, donc au-delà de la forêt interdite, territoire de Ceux dont on ne parle pas. Là, bien sûr, le spectateur commence à sérieusement anticiper quelle est la vraie situation de ce village. Quelle meilleure candidate pour aller en ville qu'Elizabeth? Non pour ses sentiments pour Lucius, mais parce qu'elle est aveugle et ne verra pas ce qui sera devant elle. Son père lui révèle le secret, scène disséminée à mesure de l'avancée d'Elizabeth dans les bois, de son abandon par ses guides (choses prévues par Edward). Ce qu'on prenait au début pour un film de monstre ou de spectre, un peu comme Les Autres ou Sleepy Hollow si on veut, devient un thriller psychologique. Ceux dont on ne parle pas sont aussi ceux qui n'existent pas. Pourtant, Elizabeth tombe dessus dans le bois, elle le reconnaît à ses grognements, le spectateur revoit cette espèce de loup-garou en robe de bure rouge avec ses piquants dorsaux. Elizabeth le piège avec sang-froid en allant s'enfuir vers un trou où elle s'était déjà cassée la margoulette. Le monstre tombe, son masque tombe, c'était Noah. Hé oui. On apprend que tout le déguisement est soigneusement caché dans un abri de jardin d'Edward, mais que Noah est allé plus loin que prévu, qu'il a trop bien joué son rôle, avec le coup des chiens dépecés. Mais la question ne se pose plus, car Noah, dans sa chutte, s'est cassé quelque chose et agonise. Chose qu'Elizabeth ne risque pas de raconter...

monstre

Celui dont on ne parle pas

Elizabeth reconnait chaque élément au toucher: la ravine, le ruisseau, le mur, la route ouverte, et ne voit pas, forcément, la jeep du ranger chargé de vérifier la tranquillité de la réserve naturelle, ni son talkie-walkie. Le ranger peut lui fournir les médicaments écrits sur la liste et Elizabeth repart dans ce village artificiel, caché dans une réserve par des gens dégoûtés d'une vie moderne gratuitement violente, remplie de corruption, de viols et d'assassinats gratuits. Oui: la mise en danger de la vie de Lucius a persuadé Edward, financeur des rangers eux-mêmes, que quelqu'un devait prendre le risque de sortir, car on ne voulait plus de ces deuils stupides dûs à l'absence de certains médicaments dans leur reconstitution historique permanente.

On a beaucoup jasé sur la prévisibilité évidente du scénario. Et pas sur le fond. Car une question est posée par le film, ainsi que par quelques romans dont il serait un plagiat un successeur: on a raison de vouloir se retirer du monde moderne devenu dangereux et incontrôlable, mais est-ce seulement possible? Une micro-société autarcique serait-elle viable, surtout pour les soins? N'y aurait-il pas rapidement de la consanguinité (ce qui pourrait être lié à Noah)? Finalement, recréer une bulle de ce type ne serait-il pas encore plus dangereux et incontrôlable que la société qu'on prétend fuir?

Le fonctionnement de cette société-bulle est enfin une image de la société globale quant à la façon de la faire tenir debout. Le village de Walker est maintenu en place par un gigantesque mensonge, pieusement entretenu, et les Anciens vivent dans l'hypocrisie la plus malsaine. Car après tout, comment inscrire une société dans le cercle qui va la définir? La peur de l'ennemi commun est un facteur évident et historiquement récurent. On a peur des autres, des autres sociétés, d'autres peuples, ennemis généralement imaginaires. On a peur du Diable, probablement imaginaire lui aussi. Oui, les Anciens, dont Edward Walker et Alice Hunt, qui ont fondé ce village, prétendent épargner la folie meurtrière de la ville moderne à leurs enfants en les enfermant dans un mensonge. Mais que fait la ville moderne elle-même? Elle inscrit ses sujets dans un mensonge. Si l'on se base sur le personnage de Jésus-Christ décrit dans les Évangiles, alors le christianisme est un immense mensonge (dernière partie, http://lionelcavan.romandie.com/post/16946/179666 ). Le Père Noel, présenté comme un personnage concret, ne vaut guère mieux que Ceux dont on ne parle pas ( http://lionelcavan.romandie.com/post/16946/202254 ). Sans parler de ces méchants réguliers qui sont sensés venir défoncer nos portes et égorger nos hamsters sous nos yeux ébahis: les Soviétiques, les terroristes musulmans, et autres (tiens exemple d'un autre http://lionelcavan.romandie.com/post/16946/200088 ). Le village n'est qu'un reflet réduit de la société qu'il est sensé abandonner. Certes, Walker trouve un moyen, de peu d'honneur, de continuer à tout faire tenir debout. Et c'est aussi ce que nous faisons. Voilà quel est le vrai message de ce très beau film, et voilà pourquoi beaucoup ne le comprennent pas.

 

 

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