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8 novembre 2011 2 08 /11 /novembre /2011 18:11

La cité des enfants perdus est un conte de fantastique/SF français (peut-être parent du steampunk) de Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet, sorti en 1995.

 

la cité des enfants perdus

L'un des rares films dont l'affiche montre l'une des dernières scènes... en même temps elle ne constitue par un vrai spoil...

Dès la première seconde, l'ambiance unique de ce film nous prend aux tripes. Il est fantastique, il est enfantin puisque les enfants sont au coeur de cet univers, mais c'est un cauchemar d'enfant, cette atmosphère est glauque, oppressante, malsaine. Ça ressemble aux années de la III° République chez nous (1870-1914 en tout cas), mais les miséreuses, du côté prolétaire et de l'industrie qui s'est développé maladroitement, ou à un futur catastrophique. C'est oppressant car, détail qui a une importance énorme mais que beaucoup n'auront pas remarqué tel quel -tout en étant sous le coup de son horreur: il n'y a pas d'arbre, pas d'herbe, il n'y a pas de nature. La mer elle-même est d'un vert si irréel qu'on n'a pas même envie d'y mettre un orteil. Les populations qu'on voit sont des laissés-pour-compte, des gens qui doivent se débrouiller pour survivre: c'est la culture des foires aux monstres, des orphelinats qui rackettent les gamins, des savants fous, géniaux, mais tarés.

Ce monde terrible, de béton, de rouille, de mer souillée, de détresse, de mendicité et de vol, est pourtant décrit avec la vivacité d'un regard enfantin. Les enfants en sont le moteur même. Orphelins ou abandonnés pour la plupart, ils forment bon gré mal gré un gang de voleurs tyrannisé par la Pieuvre, une siamoise à quatre bras et deux têtes (Geneviève Brunet et Odile Mallet); ils sont la proie des cyclopes, mouvance mêlant des apports nazis et catholiques extrémistes, qui les enlèvent; et ils sont alors, parfois, récupérés par six hommes en tout point semblables, en réalité des clones (Dominique Pinon) et par une jolie naine qu'ils appellent "maman" (Mireille Mossé). Les enfants sont alors menés sur une sorte de plate-forme pétrolière off-shore, reconvertie en hôtel particulier et en laboratoire par Krank (l'inquiétant Daniel Emilfork).

 

krank

Krank n'est pas content.

C'est là que débute le film: un petit garçon rêve que c'est Noel. Un Père Noel descend par la cheminée avec un cadeau, puis un second arrive par la fenêtre, puis un troisième par la porte, finalement ils sont six, avec le même visage et le même cadeau. Cette scène est l'une des plus pures expressions de l'aspect cauchemar d'enfant de ce film. Il a de quoi nous rappeler nos effrois les plus anciens. L'enfant hurle, et, en réalité, il est sanglé dans une sorte de sarcophage, dans un laboratoire, au centre duquel est couché Krank (il est à noter qu'il s'agit du vocable allemand pour "malade"), des électrodes sur la tête. Irvine se charge d'expliquer comment on en est arrivé là. Qui est Irvine? Un cerveau maintenu en activité dans un aquarium, lui-même serti d'un pavillon de phonogramme pour entendre et parler et d'une caméra façon 1900 pour voir! Irvine rappelle qu'un savant génial a créé un second savant, sensé être d'une intelligence surhumaine, mais il s'est trompé, et celui-ci se trouve dans l'incapacité de rêver. Il n'a aucun songe, et vieillit trop vite. C'est Krank, avec son inquiétant "phrasé moldo-valaque" (comme disait Emilfork lui-même), qui capture les enfants pour parasiter leurs rêves -en vain! Le savant fou a ensuite voulu créer la femme parfaite: il s'est trompé, et toute mignonne qu'elle soit, elle ne dépasse pas un mètre de haut: c'est mme. Bismuth. Il a aussi voulu se cloner: mais il s'est encore trompé et les six clones sont très gentils, inoffensifs, mais très niais. Enfin, il a voulu se créer un frère: mais tout ce qu'il a conçu, c'est Irvine, le cerveau qui baigne dans un aquarium où il faut souvent mettre des cachets d'aspirine car il est migraineux...

 

irvine

Krank face à Irvine: le savant fou raté et le cerveau en aquarium...

Les cyclopes prétendent troquer leurs sens "normaux" contre une soit-disant élévation vers Dieu, et sont affublés de monocles steampunks permettant de zoomer, voir dans le noir, etc. Leurs sens sont artificiellement boostés, ce qui constitue un point faible. En attendant, avec leur voiture étrange, ils capturent des enfants. Quand le petit Denrée (Joseph Lucien), un petit bout qui ne pense qu'à bouffer de la charcuterie, est enlevé, son frère part bille en tête à sa rescousse. Son frère, un Hercule de foire capable de briser des chaînes qui l'entravent juste en reprenant son souffle, ancien marin, est un colosse musculeux, au menton énorme, très émotif et émouvant, dont on ne sait s'il est stupide ou très brave: One, campé par un Ron Perlman paradoxalement méconnaissable. Cet acteur américain joue même en français, chose qu'on ne peut que saluer, malgré, bien sûr, l'accent. Il croise la route des enfants-voleurs, surtout de la petite Miette, jouée par Judith Vittet, incroyablement prometteuse et déjà énorme actrice. Ils croiseront aussi Marcello (Jean-Claude Dreyfus), l'ancien employeur de la Pieuvre au temps de sa foire aux monstres, et dont les puces savantes ont un étrange armement!

 

miette et one

Miette et One: un tandem où on se demande qui est l'adulte et qui est l'enfant...

On ne se remet pas facilement de ce film extrêmement prenant qui nous replonge tête la première dans nos cauchemars et nos peurs d'enfant. Ce monde n'a pas de logique; les enfants sont contraints de grandir trop vite, les adultes sont déraisonnés et poussés par des pulsions puériles, le monde n'a ni sécurité ni cohérence. Pourtant, tout semble raconté ou vu par un enfant, tout est enfantin, mais dans le mauvais sens du terme... et pourtant l'humour n'est jamais absent longtemps. Certains passages sont émouvants, on prend vraiment peur parfois, mais quand le savant fou originel, quasiment amnésique, retrouve ses clones (Pinon joue donc sept rôles!), il leur dit juste: "votre visage me rappelle quelqu'un..." sans spoiler inutilement, disons que quelqu'un meurt transpercé d'un harpon et se contente d'annoncer: "je suis allergique au fer". Rassurons-nous: c'est enfantin, ça finit bien. Mais jusqu'à la dernière minute, on se le demande. Et comme mon appréciation de "ça finit bien" et "ça finit mal" m'est propre, cher lecteur et potentiel spectateur, vous vous poserez la question aussi. Jusqu'à la 111ème minute.

 

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