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14 novembre 2011 1 14 /11 /novembre /2011 15:25

Le 13eme Guerrier est une aventure fantastique d'inspiration historique américaine de John MacTierman sortie en 1999.

13th warrior

 

J'ai vu ce film onze ans après sa sortie, et après avoir entendu et lu de tout et de n'importe quoi, majoritairement un beau tissu de conneries, de l'ado survolté qui y voit ce que sa "rébellion" a envie d'y voir, en passant par la critique complètement ignarde et jusqu'au wikipédia totalement raté... jusqu'à la personne qui m'a fait découvrir le film.

Celui-ci, adapté d'un roman de Michael Crichton (il faudra que je le trouve ce bouquin), s'appuie sur trois sources:

-la Rissala, un texte arabe du X° siècle écrit par Akhmed Ibn-Fahdlan, un diplomate sarrazin parti de Bagdad vers Bulgar, la capitale d'un clan bulgare musulman établie au bord de la Volga. Le voyageur musulman y rencontre ceux qu'il appelle des Rûs', c'est à dire des Russiens. Il s'agit d'un royaume formé d'une fédération de tribus slaves, finnoises et baltes, sous la domination d'une caste dirigeante de guerriers et de commerçants d'origine scandinave, les Varègues > Ce texte donnera au récit le personnage même d'Akhmed, son voyage dans le Nord (même si les raisons changent), et son prétexte pour rencontrer des Vikings.

Venus

-le Beowulf, un poème épique du IX° siècle, en anglo-saxon, qui relate les exploits du héros Beowulf, héritier du roi got Hygelac, venu secourir le roi danois Hrothgar. Son palais, Heorot, est la proie de Grendel, une sorte de monstre qui dévore les hommes. Beowulf blesse à mort Grendel, trouve sa mère et la tue, avant d'avoir (cinquante ans plus tard!) à affronter un dragon, alors que lui-même a succédé à Hrothgar > Ce mythe épique donne au film le second héros, Bulveig (et non pas "Buliwyf" comme je le lis partout), toujours fils d'Hygelac, et ses douze compagnons, dont Akhmed; le roi Hrothgar; le personnage qui doute du bien-fondé de l'intervention des treize guerriers (inspiré d'Unferth, celui qui raille Beowulf). Le dragon revient sous la forme du "dragon-luciole" qui descend des collines par temps de brouillard: ce sont en réalité les torches des ennemis. Le personnage de Grendel a été multiplié en un peuple entier: les Wendols.

  http://fabms.files.wordpress.com/2011/05/venus-willendorf-venus-willendorf-big.png

La "vénus" de Willendorf, vieille de plus de vingt mille ans, sert de modèle à la statuette de la "mère des Wendols", dégénérescence d'un peuple qui ne devrait plus exister.

-le mythe de la survivance de quelque chose de primitif et de dangereux, qui explique les Wendols, les "méchants" de l'histoire. C'est pour lutter contre eux qu'on sollicite l'aide de Bulveig, et que la sorcière prédit qu'il faut que treize guerriers partent, dont un étranger. On pourrait songer que les Wendols, puisqu'ils portent des peaux d'ours et sont doués d'une force abusive, s'inspirent des berserkir: ce n'est pas vraiment exact. Ils se considèrent comme des ours et, comme tels, sont charognards à l'occasion (ils mangent les morts) et mangent des hommes, et vivent dans une énorme caverne. Ils ont un chef porteur de cornes, vénèrent leur "mère", symbolisée par une "vénus" paléolithique et qui s'avère être une sorte de femme-chamane. Tout cela évoque la survie d'une communauté préhistorique (même les Vikings ne comprennent pas leur langue), avec le culte du totémisme animal, de dualité divine et de Terre-mère; mais cette communauté a totalement dégénéré, elle n'a plus rien à voir avec ce qu'elle fut autrefois et a viré dans l'obscurité. La mythologie scandinave connaît ce concept. Les héros évoquent leurs dieux multiples (quoique l'Islam les intéresse, par pure curiosité), et appellent Odin. Il s'agit encore des Aesir, car il y a là deux groupes de dieux, les autres étant les Vanir. Si les origines légendaires des Aesir sont bien connues, de même que leurs origines historiques (ils sont cousins des dieux olympiens ou irlandais), on ignore tout des Vanir. On a supposé qu'ils soient issus d'antiques croyances remontant aux prémices de la civilisation agricole. Par ailleurs, cette mythologie est remplie d'entités relevant d'un passé obscur, précédant l'ère des dieux: les Géants du feu et du givre, les Nains (dits aussi Elfes-Noirs), etc.

 

Bulveig

 Bulveig est le seul des 13 guerriers à porter un casque conçu d'après un modèle viking.

L'histoire racontée est donc magnifique, riche de ces trois influences. Elle est supposée se passer au X° siècle, de Bagdad à ce qu'on suppose être l'actuelle Asie centrale soviétique, et enfin, la Suède. Est-ce réaliste? La crédibilité historique du 13eme guerrier se compare à celle de 300: c'est fantastique, mais ça reste cohérent et on ne vire pas dans l'absurde (contrairement à King Arthur par exemple...). Tous les poncifs ont été évités. Les Vikings n'ont pas de cornes sur la tête, et rien que pour ça, John MacTierman mérite une médaille! Les costumes, les équipements, sans être de la reconstitution historique, sont inspirés de ce qui a vraiment existé (par exemple, sans avoir les fibules-tortues caractéristiques, les femmes ont des tabliers). Les Vikings sont dépeints comme des hommes qui sont présents, ou qu'on devine présents, dans le "monde" entier. L'un de leur navire, remontant tranquillou un fleuve d'Asie centrale, terrorise une armée tartare qui prend la fuite; ils ont créé un Empire un peu plus loin (il s'agit de ce qui deviendra la Russie). Les étonnants casques que portent certains des héros doivent être pris dans cette optique, même s'ils sont historiquement aberrants. L'un d'eux a un casque de gladiateur romain; un autre a un casque franc; un seul d'entre eux a un casque scandinave. Cela représente l'omniprésence de ces hommes. Et, en toute logique, ils sont curieux et très perceptifs de ce qui se fait ailleurs. L'un d'eux parle tout de même un latin basique mais correct, au stade où quelqu'un qui a fait un peu de latin au collège le comprend! Bulveig se montre curieux quant à l'écriture, et apprend à écrire "Allah est le seul dieu et Mahommet est son prophète", même s'il n'y croit pas lui-même.

De la même façon, le caractère ambigu, à la fois fataliste et déterministe, des Vikings, est bien restitué. Ce n'est pas qu'ils méprisent la mort ou qu'ils n'ont aucune compassion les uns envers les autres: ils acceptent ce qui arrive. Tout simplement. Chacun a un destin exact (ce que raconte l'un des guerriers). Même si la façon de l'atteindre ne dépend que de nous, ce destin est la conséquence de ce que nous sommes et ne peut pas être évité. Pareillement, la scène de duel pourrait laisser croire que les Vikings se foutaient sur la gueule gratuitement: les saga le confirment à loisir, même si cette apparente brutalité s'explique (par le sens de l'honneur), se conditionne et s'encadre (par le même sens de l'honneur et par leurs lois) et se trouve réservée aux hommes (les femmes ne sont pas concernées). Pareillement, les Vikings sont très railleurs mais reconnaissent la valeur... ce qui est normal pour ceux qui acceptent la réalité telle qu'elle est. Ils se moquent du cheval "nain" d'Akhmed et disent que seul un Arabe peut chevaucher un chien. Mais quand Akhmed fait son petit parcours d'obstacle avec son cheval, les Vikings admettent que son "chien" galope bien! Et bientôt, ils l'appellent "petit frère"...

chef

Le chef des Wendols n'est pas content.

Ce film apporte une touche réaliste tragiquement absente le reste du temps: le problème des langues. Pour une fois, on a un film où tous les peuples ne parlent pas la même langue! Même dans 300, les Perses n'ont jamais besoin de passer par des interprètes pour s'adresser aux Spartiates, lesquels se font toujours comprendre des Perses... alors que l'iranien et le grec se ressemblent peu. Que dire de King Arthur où tout le monde se comprend sans problème, qu'on soit Briton (parlant le gallois ancien), Saxon (parlant l'anglo-saxon) ou Picte (parlant un cousin disparu du gaulois)? Ici, Akhmed essaie de parler en grec; son interprète et l'interprète viking passent par le latin. Et vient cette séquence géniale du feu de camp. Nuit après nuit, le norrois commence à avoir, aux oreilles d'Akhmed, des sons familiers. Surnagent des "nous verrons ça demain" et des "j'ai soif" au milieu de la bouillie de ce qu'il ne comprend pas... jusqu'à ce qu'il réagisse à une vanne des Vikings dans leur propre langue, bien qu'il utilise encore ses idées musulmanes (il les traite de mangeurs de truie). L'un des guerriers est vexé et veut se jeter sur lui mais Bulveig comprend et reconnait la valeur de leur partenaire.

Ce film doit être pris comme une nouvelle légende scandinave, créée à partir de faits historiques et de faits légendaires. Il n'y a pas de fausse note. Et, petit plus qui fait son poids, c'estun véritable hymne à la tolérance.

 

 

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commentaires

S
Un gros chapeau pour ton analyse. Je trouve cela très intéressant et logique concernant le liens légendaire. Même si, en tant que puriste je considère les costumes comme ridicules car anachroniques pour beaucoup, et l'excuses de s'équiper de matériel de pays visité ne me convainc pas. Car avant l'ère féodal, en pleine mêlé d'une bataille les peuplades se reconnaissaient par leur équipement distinct, sinon on risquait de tuer un des siens. Le chef viking à plastron gothique voir même renaissance, hors que la saga se joue entre le 9ème et 10ème siècle, soit 5 siècles d'avance me parait plus que comique, merci Hollywood. Son casque a une lunette qui s'abaisse comme les casques gothiques de type "salade", hors les "lunette" sur les casques viking sont fixes. A moins qu'il avait une machine à remonter le temps.... bref!<br /> Je trouve dommage, par contre, que tu ne parles pas des "fils d'odin" aussi appelé "Berserk" ou "Berserker" avec les peaux d'ours et avec des pratiques cannibale. Ce film déforme du fait, la vie social des vikings d'où fond partie intégrante les Berserkers, aillant un rôle, en plus d'un type de guerrier, d'une forme de druide ou d'oracle. Sans compter que le film fait passer les Vikings comme un peuple arriéré et sale. Hors le fouilles et les recherches montrent tous l'inverse. <br /> Par contre un film que j'ai adoré qui est beaucoup plus équilibré, et pour le coup historique sur le mode c'est Outlander. Et comment donner une raison scientifique à une légende.<br /> En tout cas j'ai apprécier ton analyse et surtout, ta façon d'écrire!<br /> Amicelement
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