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14 novembre 2011 1 14 /11 /novembre /2011 15:36

Que résonnent les chants sacrés, que sonnent les lurs, les cors alpins et les trompes tibétaines et juives, que tintent les cloches chrétiennes et bouddhistes, que chantent les muezzin et les chamanes: ENFIN!

 

princess and the frog



La Princesse et la Grenouille est un dessin animé (un DESSIN ANIMÉ au sens strict) de Dinsey sorti le 11 décembre 2009 aux USA et le 27 janvier 2010 en France. On le doit à John Musker et Ron Clements, créateurs d'Aladin et de la Petite Sirène.

Un soir, chez Disney, ces deux hommes ont convoqué leurs collègues. Il faisait nuit et une petite lumière éclairait le bureau sombre.

"Écoutez les mecs. On a énormément bossé ces dernières années. On a fait que ça. On était tout le temps sur nos PC, on en a chié et on a fait des films."

L'équipe faisait oui de la tête mais l'autre reprit:

"Mais réveillez-vous, les mecs! On a fait de la MERDE! on a bossé comme des cons pour rien! que dalle! nada! zob! on a réussi qu'à faire des films d'une niaisierie pitoyable, c'était complaisant et démago à en gerber, et visuellement, c'était plat et inintéressant! réveillez-vous!"

Alors, l'un des anciens prit la parole.

"Mais, que veux-tu qu'on fasse? Il faut travailler sur le pc pour faire des films qui ont quand même des ventres correctes en dvd. Tu ne voudrais quand même pas qu'on retourne chercher notre papier blanc, nos calques et nos crayons? C'est fini, ce temps-là, c'est pour les enfants!"

Les deux génies appuyèrent leurs poings sur la table et se penchèrent.

"C'est EXACTEMENT ce qu'on va faire, car... " et il se mit à chanter avec une voix de ténor capable de faire de l'opéra: "C'est ce qui a fait de Disney uneeeee lééééégeeeeeeeeeeeeeeeeeendeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee!" Et une lumière surnaturelle l'auréolait de ses rayons.

Oubliez toutes les saloperies précédentes. Elles viennent d'être balayées définitivement. Même les classiques du dessin animé sont remis à leur place. Car voilà le Disney de la maturité. Le scénario? Ne cherchez pas: vous venez de le lire! Remplacez l'équipe Disney qui trime comme pas permis sur leurs pc pour faire pas grand-chose, par Tiana, la beauté afro-américaine qui bosse comme une tarée comme serveuse, et économise pour s'acheter un resto (qu'elle ne peut pas garder). Remplacez Walt Disney en personne par le père de Tiana, qui a trimé comme un dingue pour jeter les fondements. Remplacez l'idée géniale de revenir aux bases, à ce qui a fait rêver des millions d'enfants, par le facteur chance qu'on ne peut jamais rejeter et qui apparaît ici sous les traits de la bonne vieille Étoile protectrice, source de magie.

Dès le début, dès la présentation, le clin d'oeil est explicite et annonce clairement la couleur: un extrait de Steambot Willie, un dessin animé de Walt Disney lui-même, fait en 1928, et qui marque la naissance de Mickey Mouse en tant que personnage.

tiana

Tiana: la première Disney Princess noire et avec des formes de femme!

Premier point: le retour au dessin animé, fait avec du papier, du calque et des crayons. Dès la toute première scène, j'en ai eu la larme à l'oeil tellement c'est BEAU. La 3D informatique? Laissez-moi rire! dans un film avec de vrais acteurs et des prises de vue réelles, oui, mais dans l'animation, ÇA NE SERT STRICTEMENT À RIEN. Avec leurs petits doigts d'artistes, les mecs de chez Disney ont recréé une fausse 3D graphique qui fonctionne mieux. Le dessin est fluide, les couleurs, ombres et lumières, et la perspective sont maîtrisés sans aucune discussion. Autre retour aux sources dont on avait grand besoin: la CHANSON. Les doubleurs chantent vraiment et ont des voix magnifiques, ils tiennent longtemps, leurs voix sont maîtrisées et stables. On a enfin dépassé la soupe infâme qu'on nous servait depuis longtemps, à base de pop de merde et de gens qui chantent aussi bien que moi (en chant "normal" je précise).

Second point: l'arrêt de mort de la niaiserie. Regardons le chara-design des films précédents, y compris ceux de Musker et Clements. La petite sirène, c'est une gamine de 10 ans; Jasmine doit en avoir 12 maximum (ses hanches ont à peine commencé à s'élargir). Prenez Blanche-Neige: elle n'a pas 12 ans. Tiana, elle, a facilement 20 ans, de même que sa super copine, Charlotte. Enfin, les "Disney Princess" sont des FEMMES. Elles ont des corps de femmes, elles sont même plutôt bien roulées. Enfin, elles ont de la poitrine. Détail secondaire mais qui peut compter, il me semble que le dessin du nez a été largement amélioré. Et puis, tous les pièges débiles ont été déjoués -précisément tous ceux dans lesquels les anciens Disney tombaient systématiquement. On n'est pas complaisant, mais on sait se montrer plein de tact. Prenons par exemple l'Étoile qui exauce les voeux -ou plutôt qui aide à ce qu'on les exauce. "ooooh meeeerde on va encore avoir des problèmes! regardez le film Avatar qui a été critiqué par l'Église parce qu'ils disent d'adorer la Nature! nous on adore une étoile!" "t'inquiète, Budd: on va l'appeler Evangeline". Autre piège évité: le clivage raciste, surtout que l'action se passe dans la Nouvelle-Orléans au début des années 1920 (j'y reviendrai). La mère de Tiana n'est pas la bonniche du blanc pété de pognon. C'est juste une couturière. Le père de Charlotte n'est pas son propriétaire: c'est juste son meilleur client. Piège gigantesque, évité de façon magistrale: Charlotte, la blanche, fille à papa pétée de thune et arriviste, et Tiana, la noire, pauvrette qui doit bosser dur, ne sont jamais, jamais, jamais ennemies! N'importe quel Disney serait tombé dans ce panneau énorme et lamentable. Non: Charlotte reste loyale jusqu'au bout.

Troisième point: les deux grands tabout ont sauté. A y est. Oui, désormais, dans un Disney, on peut mourir. L'un des personnages secondaires est tué, purement et simplement, on assiste à ses funérailles, mais ce personnage se réincarne immédiatement en une seconde Étoile protectrice. Donc oui, on meurt, on ne ressuscite pas "bêtement" et par une simple et incroyable facilité scénaristique: mais un film qui enseigne que le facteur chance existe et ne peut pas être exclu ne pouvait que montrer une suite à la mort, une suite qui est très logique. Et surtout, dans la vie, il y a le sexe. On reste très pudique; néanmoins, Tiana et Charlotte ont des avantages certains et dans leurs robes de princesse, c'est mis en valeur. Seule allusion, mais ô combien parlante; avant de retourner draguer le prince, Charlotte agrippe son bustier, soulève ses seins et dit: "bon, faut retourner au charbon". C'est à la fois explicite et pudique.

Enfin, notons bien une innovation capitale: le larbin, personnage obligé de Disney, ici, se rebelle enfin. Qu'il soit souffre-douleur du méchant ou laquais du gentil, là, justement, il devient le méchant secondaire par pure soif de vengeance.

Le film est bourré de clins d'oeil, et là, l'ayant vu quelques heures avant de rédiger ces lignes, je ne les ai certainement pas tous décelés. L'alligator Louis, le trompettiste qui gonfle ses joues, c'est Louis Armstrong; la luciole Ray, c'est Ray Charles. Deux géants du jazz sont des personnages de l'histoire! Au tout début, dans le tramway, un vieux lit un journal qui titre: WILSON ELECTED! Le président des États-Unis Woodrow Wilson fut élu en 1913. Cela permet de dater à la semaine près les premières scènes. Si l'on estime que l'ensemble du film se passe dix ans après, alors il se déroule au début des années 1920. On pourrait même supposer que le père de Tiana est mort dans les tranchées européennes. Autre indice chronologique: la vieille sorcière, Mama Odi, est par confusion appelée Oudini par l'un des personnages. C'est un clin d'oeil à l'immense Houdini, le prestigidateur américain actif à cette époque. On voit aussi des clins d'oeil aux films précédents de Musker et Clements. Par exemple, le prince Naveen pourrait bien être indien, donc oriental, clin d'oeil éventuel à Aladin. Lors de la parade du Mardi-Gras, le premier char qu'on voit tient une effigie colossale de Neptune (roi-triton) et les hommes portent des tridents: c'est un hommage à la petite sirène.

Les personnages sont particulièrement réussis. Pour la première fois, on a une Disney Princess noire; dans l'un des films précédents du duo, Jasmine était arabe, c'était déjà ça -pas une blanche. Mais en plus, il faut bien dire les choses comme elles sont, Tiana a un corps plutôt réussi, de femme adulte, et ça c'est une première aussi. L'ambiance musicale, c'est le jazz et la musique cajun, des choses qui étaient vulgaires à l'époque des premiers Disney. Les personnages ne sont plus des sommets de niaiserie, ce ne sont plus des prétextes mais des personnes. Charlotte est vénale et fofolle, mais elle a un fort caractère et elle est loyale au possible. Tiana est une bosseuse, mais elle garde quelque part du rêve et de l'espoir gratuit. Lawrence est un enculé (je ne vois pas d'autre mot), mais il est motivé par la vengeance et en a marre d'être exploité. Naveen n'est pas qu'un dragueur du dimanche insouciant: il sait ce qu'il doit faire, et il est capable d'une grande débrouillardise. Facilier lui-même est une refonte pure et simple d'Hadès, dans Hercules. Il n'a de vaudou que le nom (histoire de faire couleur locale), tout comme Hadès n'emprunte que le nom du dieu grec. Ce double personnage, c'est Méphisto, le bon vieux diable médiéval, le démon des pactes et des contrats. C'est une fumure mais il a des démons d'un autre monde sur le dos et qui sont tout simplement ses créanciers.

 

facilier

En haut: Facilier. En bas: Hadès. 

hadès

 

Enfin, le happy end est extraordinairement bien amené. Le scénario de base est assez commun, on l'a à peu près dans tous les Disney, mais les pièges classiques ont été évités. Le happy end est à retardement, cette fois; on croit le tenir, mais paf, un autre vrai happy end éclate d'un seul coup, au profit d'une morale nettement plus mature et plus réaliste que les niaiseries et les calembredaines post-chrétiennes de tous les films précédents ou quasi. Bosser, oui; savoir prendre conscience de ce qu'on a déjà, oui; mais hé ho, les miracles, ça peut arriver! Surtout que ce n'est pas si "miraculeux" que ça -tout comme le film lui-même: ce n'est pas un miracle, c'est le retour du bon sens au sein de l'équipe Disney. Le happy end est d'une logique complète, basé sur: en embrassant une princesse, tu redeviens un homme; toi-même tu es prince, mais ta promise est serveuse; oui, justement, par conséquent, en l'épousant... et ben voilà! c'est tout con!

Alors je dis oui à la Princesse et la Grenouille et je le considère d'emblée comme l'un des trois ou quatre meilleurs films que j'ai vus. Le dessin animé en long métrage a enfin deux écoles (pas vraiment ennemies): Pixar, qui s'est fait connaître pour sa maîtrise de l'informatique, et qui a des histoires cohérentes et matures; et Disney, qui est revenu à la maîtrise du papier/calque/crayons, et qui, ENFIN, a des histoires cohérentes et matures.

Alors si le prochain Disney est de la même trempe, je fonce le voir.

 

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